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le point sur les mesures d'aménagement des délais pour cause d'urgence sanitaire

Le 10 avril 2020

La situation sanitaire inédite en cours a conduit les pouvoirs publics à imaginer un dispositif qui neutraliserait les délais qui, en temps habituel, doivent être observés par les justiciables.
 
Ce dispositif a reçu le nom de « période juridiquement protégée ».
Le texte qui est entré en vigueur pour avoir cet effet est une ordonnance :  l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 « relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période »  
 
Il s’agit ici de décrire la technique qui a été employée pour que ce texte atteigne ses objectifs et au passage de commenter les termes qu’il contient.

Si le principe que les délais et autres sont gelés, suspendus, aménagés ou équivalent pendant cette période très inhabituelle, le mécanisme précis qui le permet est beaucoup moins bien connu.

Les textes qui permettent ce mécanisme sont plutôt brefs (ordonnance) et leur terminologie est technique.

Il est souhaitable de bien identifier le sort des délais dont le terme interviendra prochainement ou est récemment intervenu.

Au terme de cet article, vous pourrez comprendre les notions d'urgence sanitaire, laquelle commande celle de période juridiquement protégée et comment elles ont été mises en pratique.

ces périodes ont un commencement et une fin, la seconde dépend de la première, les délais et assimilés sont aménagés en suivant des règles variables.

I - contexte général de l’ordonnance,  le seuil du 12 mars 2020
et la notion « d’urgence sanitaire »
 
Le texte débute par une description de son champ d’application : il concerne les « délais et mesures » qui, en temps normal, devaient être réalisées ou, sans aucune action, ont un effet de droit.
 
En effet, un délai a pour objet de fixer une date limite pour agir, ou pour réaliser un acte de procédure, mais aussi pour faire une chose ordonnée par une décision antérieure.
 
L’ordonnance aménage le sort des « délais et mesures » dont la date prévue est postérieure au 11 mars 2020.
 
Tous les événements dont la date d’effet est le 11 mars 2020 ou avant ne sont donc pas concernés.
 
Tous les événements dont la date d’effet est le 12 mars 2020 ou après ce jour sont affectés par l’ordonnance : les conséquences de ces délais ne changent pas, c’est leur date d’effet qui change.
 
Ainsi un délai qui se terminait le 13 mars (deux jours après le 11) est aménagé, tandis qu’un qui se terminait le 11 n’est pas aménagé.
 
L’aménagement consiste à reporter l’échéance.
 
L’ordonnance décrit l’étendue de ce report (donc du jour de la fin de la période de report) :  par les termes suivants : « un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée ».
 
On voit ici un système de double fixation du terme du report :
 
Premier système : une loi d’urgence sanitaire (loi du 22 mars) a créé une période dénommée « d’urgence sanitaire », et son article 4 en donne la durée,
 
Second système, les délais et mesures que nous évoquons ici reportés jusqu’au « terme du mois qui suit » la fin de la période d’urgence sanitaire.
 
Dans l’état actuel de la loi du 22 mars, l’urgence sanitaire est en place pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de cette loi,
 
L’entrée en vigueur d’une loi  dépend habituellement de la date de sa publication au journal officiel, ce qui, pour l’urgence sanitaire, s’est produit le 24 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire est donc en place jusqu’au 24 mai 2020).
 
Bien entendu, si cet article 4 est modifié, pour étendre la période d’urgence sanitaire, il en résultera une extension de celle de report des délais qui nous occupent.
 
On perçoit ici le lien technique entre le la loi (urgence sanitaire) et l’ordonnance (qui en emprunte le délai principal).
 
Aujourd’hui, le dernier jour de l’état d’urgence sanitaire est le 24 mai, et cette même période augmentée d’un mois dure jusqu’au 24 mai inclus.
 
Résumons le tout comme il suit :  il existe une période dite « d’urgence sanitaire » avec un terme actuel fixé au 24 mai 2020,
 
Il existe une période dite « juridiquement protégée » sans date fixe de son terme, ce dernier étant fixé un mois après celui de la période « d’urgence sanitaire ». 
 
Pour les besoins juridiques, c’est le terme de « période juridiquement protégée » qui sera employé. 
 
II -  les délais non concernés par l’ordonnance.
 
L’ordonnance  prévoit que les reports ne concerneront pas certaines matières (ne sont ici citées que les exceptions renvoient à une activité juridique ou judiciaire) :
 
-       l'application de règles de droit pénal et de procédure pénale, y compris l’activité liée aux mesures privatives de liberté
 
-       les élections et consultations relevant du code électoral
 
-       les délais déjà adaptés par la loi du 23 mars 2020 un autre texte d’application (comme l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 qui a organisé les délais spécifiques en matière de « juridictions pour enfants et relatives à l'assistance éducative », et « EN MATIÈRE DE COPROPRIÉTÉ »
 
 
Pour les règles qui concernent les « mesures restrictives de liberté, les reports s’appliquent mais l’ordonnance a prévu une date fixe empêchant « une prorogation au-delà du 30 juin 2020 ».
 
III – les effets de l’ordonnance :
mise en œuvre pratique de la période « juridiquement protégée »
 
Ce sujet met en évidence que la prorogation est mise en place avec des effets variables selon la nature du délai ou de la mesure concernée.
 
-> Mécanisme principal


Champ d’application du mécanisme principal :

Il y a ici une terminologie qui nécessite une grande attention : l’ordonnance aborde d’abord le cas des délais ou mesures « actes, actions en justice, recours, formalités, inscriptions, déclarations, notifications ou publications prescrits par la loi ou le règlement » .


Autrement dit, si la chose à faire ne provient ni de la « loi » ni d’un « règlement », elle n’est pas aménagée par le mécanisme principal de l’ordonnance : il existe donc un premier critère fondé sur la source de l’obligation.


Pour en comprendre la portée, il suffit de citer des cas d’obligations mais dont la source n’est ni une loi ni un règlement :


-       une chose ordonnée par un juge
-       une chose prévue par un contrat


Notons aussi que les choses à faire sont dénommées par une liste limitative : (actes …. publications), si bien que si une mesure ou obligation qui ne répondrait à aucune de ces dénominations est exclue des effets de l’ordonnance.


Les cas qui ne répondent pas à ces deux critères sont traités dans l’ordonnance mais avec des règles particulières (cf ci-après « mécanismes particuliers », par opposition au mécanisme principal)


Le fonctionnement du mécanisme principal :  


« suspension » ou « interruption » ?
 
Des délais peuvent cesser de courir pour cause de suspension ou d’interruption.
 
Il y a deux termes car les conséquences de la cessation des délais n’est pas la même dans ces deux cas :
 
La suspension d’un délai est un mécanisme qui distingue deux parties d’une période :
 
Celle avant la suspension
Celle après la suspension, et qui s’analyse en une reprise du délai.
 
Dans un tel cas, l’appréciation du délai passe par l’addition des deux périodes et leur comparaison avec la durée requise par le texte :  la suspension n’efface pas le délai déjà couru. 
 
Au contraire, une interruption anéantit le délai déjà couru, et dans un tel cas, la période antérieure à l’interruption n’est pas prise en compte : un nouveau délai entier est ouvert après l’interruption.

"prorogation"
 
L’ordonnance ne contient ni le terme suspension ni le terme interruption, mais celui de « prorogation ».
 
Ce terme désigne un mécanisme de modification d’un terme (un événement devait intervenir à une date, la prorogation aura pour effet de transporter cette date dans l’avenir).
 
Le choix de l’ordonnance : la réouverture des délais après la période juridiquement protégée
 
Le texte prévoit que ce qui devait être accompli dans la période créée par l’ordonnance (donc en l’état du 12 mars au 24 juin) sera réputé accompli à temps s’il est accompli après le 24 juin mais sans dépasser le délai initialement prévu, le tout sans pouvoir excéder deux mois.
 
Il faut donc lire la chose comme il suit :
 
Si l’action ou la formalité était à faire dans un délai, que le terme de ce délai tombe dans la période protégée, ce délai courra à compter du 25 juin 2020 (exemple celui qui avait un mois pour agir devra le faire au plus tard le 25 juillet, et si la période d’urgence sanitaire n’est pas prolongée).
 
On voit bien qu’il ne s’agit pas d’une suspension, mais plutôt d’une interruption : si par exemple, pour un délai de 15 jours, il ne restait plus que trois jours pour agir le 12 mars, c’est bien un délai entier de 15 jours qui sera ouvert à partir du 25 juin (et non les trois jours qui restaient à courir).
 
-> Mécanismes secondaires


A - Les mesures « administratives » ou « juridictionnelles »


La source de ces mesures n’est ni Loi ou un règlement ni un contrat :
Il s’agit là des cas dans lesquels le juge ou une personne publique (Etat, région, département, commune…) ordonne, interdit ou autorise des choses et pour un délai limité : mesures familiales, expertises, agréments ou autorisations limités dans le temps, permis, etc…


Le texte traite le cas de ces mesures dont la date de leur terme serait dans la période juridiquement protégée : en ce cas, elle est prorogée de plein droit « jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de la période juridiquement protégée », ainsi à titre d’exemple, un agrément qui aurait cessé le 15 mars 2020 cessera par prorogation le 24 août 2020 au soir (qui est deux mois après le 24 juin)… si la période d’urgence sanitaire n’est pas prolongée.


On voit ici qu’il y a maintenant trois périodes :
 
-       « urgence sanitaire » (en l’état actuel : du 24 mars au 24 mai 2020
-       « période juridiquement protégée », un mois de plus (en l’état actuel du 24 mai au 24 juin)
-       période « de l’article 3 de l’ordonnance  n° 2020-306 du 25 mars 2020, deux mois de plus que la « période juridiquement protégée » (en l’état actuel du 24 juin au 24 août)


A noter que l’autorité qui a mis en place ces mesures peut les modifier ces mesures de sa propre initiative ou y mettre fin.


L’ordonnance ne fait pas de différence entre les mesures prises avant la période juridiquement protégée et celles prises pendant cette période.
 
B - Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires et les clauses de déchéance


Ces différents mécanismes ont pour but de sanctionner celui qui ne respecte pas ses obligations, soit par une charge financière (parfois proportionnelle au retard comme l’astreinte), soit par la perte de son contrat.


L’ordonnance neutralise ces mécanismes durant la période juridiquement protégée.
 
Ainsi : une clause de déchéance ou résolutoire ne pourra avoir ses effets si l’événement prévu par elle se produit dans la période juridiquement protégée, ensuite il y aura deux cas de figure :
 
-       le débiteur se met en règle avant la fin de cette période, il n’y a ni déchéance ni résolution.
 
-       le débiteur ne se met pas en règle pendant cette période augmentée d’un mois, la clause résolutoire jouera.
 
On voit ici qu’il y a à nouveau trois périodes :
 
-       « urgence sanitaire » (en l’état actuel : du 24 mars au 24 mai 2020)
-       « période juridiquement protégée », un mois de plus (en l’état actuel du 24 mai au 24 juin)
-       période « de l’article 4 de l’ordonnance  n° 2020-306 du 25 mars 2020 », un mois de plus que la « période juridiquement protégée » (en l’état actuel du 24 juin au 24 juillet)
 
L’ordonnance aborde le cas des astreintes ou clauses pénales dont le cours a commencé avant le commencement de la période juridiquement protégée (12 mars 2020)
 
Si le débiteur ne s’est pas mis en règle à l’issue du délai de l’article 4, ces mesures « reprennent leur cours normal dès la fin de la période juridiquement protégée».
 
Ici qu’il n’y a que deux périodes :
 
-       « urgence sanitaire » (en l’état actuel : du 24 mars au 24 mai 2020
-       « période juridiquement protégée », un mois de plus (en l’état actuel du 24 mai au 24 juin)
 
Ainsi celui qui doit une astreinte pour une raison non réparée verra le cours de cette sanction reprendre en l’état actuel le 25 juin.
 
C - Contrats renouvelables par tacite reconduction et contrats et délais commandant les facultés de résiliation


Le calendrier est exploité dans les contrats à plusieurs titres : ces actes prévoient des mécanismes de tacite reconduction ou des conditions de résiliation.
 
Pour que ces mécanismes soient effectifs, il est offert aux parties une faculté de décider du sort du contrat, cette faculté est évidemment enfermée dans des délais.
 
L’ordonnance aménage ces délais, mais par un moyen différent de celui des délais habituels de procédure : le texte institue un délai de deux mois pour mettre en œuvre ces clauses, ce délai courant à partir de la fin de la « période juridiquement protégée ». 
 
On voit ici que c’est un délai de deux mois qui est retenu indépendamment des termes des contrats.
 
Il y a ici trois périodes :
 
-       « urgence sanitaire » (en l’état actuel : du 24 mars au 24 mai 2020
-       « période juridiquement protégée », un mois de plus (en l’état actuel du 24 mai au 24 juin)
-       période « de l’article 5 de l’ordonnance  n° 2020-306 du 25 mars 2020, deux mois de plus que la « période juridiquement protégée » (en l’état actuel du 24 juin au 24 août)

IV - conduite à tenir devant cet ensemble
 
On constate que la nature du délai originel commande son aménagement par cette ordonnance, il faut donc successivement :
 
 
1 – identifier si le délai est ou non dans la période juridiquement protégée, cette recherche peut aboutir à constater qu’il est antérieur à cette période (terme avant le 12 mars 2020) ou après la fin cette période.


2 – rechercher si le délai est aménagé par un autre texte que celui de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020, on suit alors les règles de cet autre texte.
 
3 - identifier si le délai est exclu expressément de son champ d’application par l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 (il faut lire l’article 1 de l’ordonnance)
 
4 – rattacher le délai à une des catégories présentes dans l’ordonnance, en recherchant sa cause juridique (loi, règlement, ou contrat, ou mesure d’origine administrative ou judiciaire) et sa nature (astreinte, clause pénale, clause de résiliation ou tacite reconduction), on aboutit à l’identification de la règle de prorogation applicable.
 
Si le délai est issu d’un code, le texte qui le mentionne contient sa propre source (loi, décret, etc…) ce qui établit que son origine est la Loi ou le « Règlement »
 
Le mot « Règlement » désigne une catégorie de source du Droit autre que la loi votée, regroupant les décrets et les arrêtés pris par les ministres du Gouvernement, les préfets, les sous-préfets et les maires des communes.
 
V – conseils du praticien
 
Quand se pose la question d’un délai à respecter, il faut toujours se demander quelle est la sanction de l’inobservation du délai : en identifiant quelles conséquences aurait le dépassement du délai, on peut mesurer l’enjeu attaché au délai.
 
Ces questions pouvant devenir complexes, il est pertinent de consulter la circulaire qui commente l’ordonnance (cf lien de téléchargement en PS), qui donne une série d’exemples (évidemment, l’exercice est limité car il existe une très grande variété de délais, tous ne peuvent recevoir un exemple).
 
Enfin, la « période juridiquement protégée » n’est qu’une période de tolérance pour respecter les délais, or souvent rien n’empêche de réaliser les actes nécessaires durant cette période et il sera prudent de le faire :
 
Je recommande donc de classer les actes ou actions à conduire en deux catégories :
 
-       celles nécessitant le concours d’un huissier ou d’un service administratif ouvert : on constate l’impossibilité de ces accès et on agende pour le faire en temps utile après la période,
 
-       celles ne nécessitant pas le concours d’un huissier ou d’un service administratif ouvert : il n’y a aucune raison d’attendre (exemple : saisine d’un tribunal administratif par voie électronique (« télérecours »), dépôt de conclusions sous délai dit « Magendie » : même forme
 
10 avril 2020
 
https://www.infomie.net/spip.php?article5827