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Comment bien rédiger une assignation (le point de vue de l’avocat)

Le 27 janvier 2024

CADRE GENERAL POUR PRODUIRE UNE ASSIGNATION EFFICACE
 
L’assignation s’analyse comme une forme de convocation de sa cible devant un juge pour que ce dernier décide, de diverses mesures (des « demandes ») contre cette cible.
 
La convocation emporte un débat, l’assignation se place comme un acte qui décrit les causes de la ou des demandes, c’est son premier objectif.
 
Il faut donc commencer par bien mettre à plat la ou les demandes en question, le reste suit comme une gestion de questions techniques à traiter.
 
Il faudra au total : créer une chaîne juridiquement fiable allant des pièces à l’assignation (cf § A) rendre cette dernière conforme aux règles qui commandent son efficacité (cf § B) et couvrir les formalités nécessaires pour que le Juge soit saisi (cf § C).
 
Le fond du sujet porte un nom en Droit, une demande vise en effet à revendiquer une règle de Droit pour fonder la ou les demandes, et cette règle de Droit porte un nom, qualifier le litige c’est lui donner le bon nom.
 
De la bonne identification de la règle de Droit découle celle du juge à saisir, donc du Tribunal qui sera mentionné sur l’assignation.
 
Il est pertinent de rechercher une jurisprudence ayant jugé des faits comparables pour identifier ou avoir confirmation de la règle de Droit applicable.
 
Les règles en question peuvent être issues de lois spéciales (par exemple lois sur les baux, Droit bancaire…), souvent elles se fondent sur des contrats (accords pris entre des personnes, statuts  de sociétés), parfois encore sur les principes généraux du Droit Civil)
 
L’assignation doit « viser » les textes applicables (c’est-à-dire les citer), le Code de Procédure (article 56) prescrit d’ailleurs que l’assignation expose ses moyens en fait et en droit (56 CPC).
 
Certains soulèvent la nullité des assignations trop succintes ou vagues, la nullité pourra être reconnue si ces vices ne sont pas réparés en cours de procédure et que celui qui les soulève démontre qu’un grief demeure par le fait de ces vices.
 
Quand le travail d’identification de la règle applicable est terminée, on peut dire que les faits sont « qualifiés en Droit ».
 
Le travail de fond peut commencer.
 
A – DES PIECES A L’ASSIGNATION
 
Il s’agit de mettre en relation le texte de l’assignation et les pièces, de rédiger une présentation des faits à l’origine du litige.
 
Le mieux est de numéroter les pièces en rédigeant cette partie et d’intégrer cette numérotation dans le texte.
 
Exemple : par un accord du X en date du (date), (cf pièce en demande N°1) . la société Z et Mr Y sont convenus de …. (…), Mr Y a constaté que (…) cf pièce en demande N°2)  et a envoyé à . la société Z une mise en demeure, le (date) cf pièce en demande N°3)  (…) la société Z a protesté de cette mise en demeure par lettre du (date) cf pièce en demande N°4), les échanges ultérieurs n’ont pas permis de régler ce litige, Mr Y demande donc au Tribunal de ….
 
Cette rédaction est toujours chronologique, mettant en évidence les phases successives du litige et la demande qui cause l’assignation, souvent d’ailleurs cette partie est intitulée « origine de la demande ».
 
Il faut ensuite rédiger le paragraphe de la « discussion », lequel expose la qualification juridique des faits, la demande et les conséquences qu’il est proposé au juge d’en tirer.
 
Pour poursuivre l’exemple commencé supra, nous aurions un texte comme celui qui suit :
 
« l’article 1103 du Code Civil dispose que  les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, l’article X du contrat prévoit que la société Z devait …. , il est justifié par Mr Y du manquement à cette obligation…. »
 
L’article 1217 du Code Civil dispose que La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
En l’espèce, Mr Y….
 
Il faut enfin rédiger le paragraphe nommé « par ces motifs », après ces mots apparaissent ceux qui constituent la demande proprement dite « condamner… ordonner…).
 
D’où (suite de l’exemple) :
 
« Par ces motifs :
 
Vu les articles 1103 et 1217 du Code Civil et les pièces communiquées, condamner la société Z à payer à Mr Y une somme de X euros ».
 
Dans les procédures en forme écrite, le juge n’est saisi que par les termes de cette partie, qui porte le nom de « dispositif » par opposition au texte qui apparaît avant le « par ces motifs » et à qui il est donné le nom de « motifs ».
 
Dans les procédures orales, les demandes sont celles qui sont exprimées oralement à l’audience, il faut donc à l’audience, si nécessaire, pour ne pas répéter son assignation, déclarer dans un tel cas « se référer aux termes de son assignation ».
 
L’écriture du bordereau des pièces.
 
Le 3° de l’article 56 du Code de Procédure Civile prévoit que l’assignation « contient à peine de nullité » la liste des pièces sur lesquelles la demande est fondée dans un bordereau qui lui est annexé.
 
En pratique, il y aura donc à la fin du texte de l’assignation une reproduction de cette liste.
 
Les pièces sont ensuite diffusées à l’adversaire (le principe est que toute production dans une procédure est « contradictoire » c’est-à-dire soumise à la discussion de toutes les parties intéressées.
 
Nous voici avec un acte complet, décrivant la demande, ses justificatifs,  mais comment ensuite arriver à l’audience ?
 
B – LES TRAVAUX CONNEXES AU FOND POUR BIEN REDIGER L’ASSIGNATION
 
Il ne suffit pas d’avoir bien décrit et justifié de la demande encore faut-il l’adresser au bon juge et en respectant des règles techniques :
 
B – 1 : la purge du délai de recours : saisir un Tribunal consiste parfois à contester un acte et la chose est enfermée dans des délais parfois brefs :
 
Exemples : opposition à injonction de payer « L'opposition est formée dans le mois qui suit la signification de l'ordonnance » (article 1416 du Code de Procédure Civile)
 
Contestation d’assemblée de copropriété : article 42 de la loi du 10 juillet 1965 « Les actions en contestation des décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d'assemblée, sans ses annexes »
 
Une fois la matière identifiée, il faut donc purger cet aspect technique.
 
Quand un acte quelconque est susceptible de recours, il est porté à la connaissance de l’intéressé, par notification ou signification et le recours possible et son délai sont mentionnés dans cette notification ou signification, le bon réflexe consiste donc d’abord à étudier ces pièces.
 
B – 2 – la purge de la prescription : on ne peut agir sans limite de délais, est dite prescrite une action qui n’a pas été exercée durant un délai issu de sa matière, un droit prescrit est un droit qui a existé mais s’est éteint par son non-usage.
 
Or parfois la prescription est brève : quelques exemples :
 
-       Un an : article L133-6 du Code de commerce « s’applique à toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu »,
 
-       Article L114-1 Code des Assurances : deux ans « Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance »
 
B – 3 La purge des stades préalables obligatoires : il est fréquent que le juge ne puisse être saisi qu’après un stade préalable obligatoire, c’est même la règle en matière publique sous le nom de recours administratif préalable (« réclamation » en matière fiscale), en matière de contestations de cotisations sociales (avec la commission de recours amiable)…,
 
L’article 750-1 du Code de Procédure Civile rend obligatoire « une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative » pour les petits litiges (suivent de dérogations).
 
Une tentative de médiation est obligatoire avant toute demande de modification des décisions et conventions homologuées fixant les modalités de l'exercice de l’autorité dans les tribunaux de Bayonne, Bordeaux, Cherbourg-en-Cotentin, Évry, Nantes, Nîmes, Montpellier, Pontoise, Rennes, Saint-Denis et Tours. Ce dispositif est en vigueur jusqu'au 31 décembre 2024.
 
Il s’agit là d’une liste non limitative.
 
La saisine du juge au mépris de ces stades emportera l’irrecevabilité de la demande.
 
Ces obligations ont pour les demandeurs en butte à un adversaire fermé à toute discussion les effets d’une antichambre, c’est-à-dire d’un processus ralentissant l’accès au juge
 
B – 4  l’identification du Tribunal compétent « ratione materiae » dite  encore la compétence matérielle voici une question inévitable : pour le sujet qui se pose, quel est mon juge ?,
 
car il en existe plusieurs, affectés aux litiges de diverses matières, si bien que la saisine du juge d’une matière autre que celle pour laquelle il a son office emporte l’incompétence de ce dernier (incompétence prise au sens procédural : il n’a pas été désigné pour le litige).
 
Quand la matière à juger est publique, il faut se poser la question de la compétence des tribunaux dits « administratifs ».
 
Parfois une clause d’arbitrage déroge à la compétence du juge prévu par la Loi (c’est le contrat qui peut le prévoir), c’est l’instance désignée par le contrat qui est alors le juge compétent.


L’identification du bon tribunal passe par l’étude des textes qui répartissent les compétences, comme le Code de l’organisation judiciaire (articles L211-3 et suivants), mais ce sujet est dispersé dans nombre de sources qu’il est difficile de résumer ici,


Voici un exemple : celui de l’article L611-3 du Code de Commerce : « Le président du tribunal peut, à la demande d'un débiteur, désigner un mandataire ad hoc dont il détermine la mission.  (…- Le tribunal compétent est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale et le tribunal judiciaire dans les autres cas ».


Par ces seules lignes, nous apprenons que quand la demande vise à « désigner un mandataire ad hoc » c’est le Président d’un Tribunal qu’il faut saisir (et non le Tribunal lui-même),

ici l’on voit que la juridiction est le Président et non le Tribunal qu’il préside, et qu’il s’agira selon l’activité de la société concernée du Président du Tribunal Judiciaire ou du Tribunal de Commerce.


Il existe des juridictions civiles hiérarchisées selon l’enjeu du litige (Tribunal judiciaire, Tribunal de proximité), des juridictions civiles dites « spécialisées » (conseil de prud’hommes, Tribunal de Commerce, tribunal paritaire des baux ruraux), les juridictions de l’Ordre Administratif (Le tribunal administratif).


Ces divers juges connaissent leur équivalent devant les cours d’Appel (quand l’appel est prévu, ce qui est le plus fréquent) et même, au-delà, leur juge de cassation (Cour de Cassation et Conseil d’Etat).
 
B -5  - l’identification du tribunal compétent ratione loci (territorialement) dit autrement à quel lieu se rattache mon litige ?, c’est une autre question inévitable, car il existe une carte judiciaire, des territoires distincts avec, dans chacun d’eux un ou plusieurs des juges existants, ainsi il y a en France 227 tribunaux de Commerce.
 
Il est déjà opportun de consulter l’annuaire en ligne tenu par le ministère de la Justice et qui porte le nom de « Liste des juridictions compétentes pour une commune », facile à trouver « en ligne ».
 
Mais les règles de compétence « territoriale » dépendent de la matière et sont dispersées dans de multiples textes, les articles 42 et suivants du Code de Procédure Civile, énumèrent une série de règles de compétence territoriale.
 
Ces règles peuvent aussi avoir été aménagées dans un contrat via une clause dite « compromissoire ».
 
B – 6   la dénomination précise de la cible
 
Il est nécessaire que le destinataire de l’assignation soit nettement identifié :
 
S’il s’agit d’une personne morale (société ou autre), son nom exact, l’adresse de son siège social, son numéro d’inscription au registre du commerce et des sociétés, le tout suivi de la formule « prise en la personne de ses dirigeants domiciliés audit siège »
 
La situation juridique d’une société est mise en évidence par son extrait Kbis, lequel est à commander (par voie électronique) pour avoir des données à jour.
 
Il peut arriver que des sociétés connaissent des situations qui auront des conséquences sur la procédure (en cessation des paiements, en liquidation, etc…), l’exploitation du Kbis permet de le relever et d’y donner la bonne réponse en procédure.
 
S’il s’agit d’une personne physique, il faut user de son état-civil complet (nom, prénoms, date et lieu de naissance, profession, domicile).
 
Une fois ces stades franchis, nous avons mis en forme, causé juridiquement et factuellement (par les pièces) notre demande, respecté les stades d’avant procès, identifié quel est le juge de notre matière et quel est le juge territorialement compétent, l’acte a pu être rédiger en presque toutes ses parties.
 
Reste à arriver à ce que le juge en soit administrativement saisi.
 
C – LES TRAVAUX ADMINISTRATIFS POUR EXPLOITER L’ASSIGNATION
 
C – 1 la prise de date
 
Sur l’assignation, il faut mentionner une date d’audience, cette date doit être identifiée par l’auteur de l’assignation pour être portée sur l’assignation.
 
Plusieurs moyens existent selon les cas :
 
-       devant les tribunaux de commerce par un tableau
-       devant le Tribunal judiciaire par envoi du projet d’assignation au greffe, lequel greffe propose une date.


Il est parfois possible de saisir un Tribunal sans date (par exemple par dépôt d’une requête pour saisir le Conseil de prud’hommes, par un formulaire cerfa N° 15586*09), c’est alors le greffe qui convoque et fixe à cette fin la date de la première audience.


Le mode de saisine du Juge apparaît parfois dans le texte qui détermine sa compétence exemple : en matière familiale, article 1137 du Code de Procédure Civile : « Le juge peut également être saisi par requête remise ou adressée au greffe…. »,

un texte prévoyant une forme particulière de saisine est évidemment limité à la matière pour laquelle il a été institué.


C – 2   le recours à l’huissier


Quand il faut assigner, l’huissier doit recevoir le texte de l’assignation (un fichier modifiable est plus pratique pour l’huissier) et des instructions précises,


l’huissier devra savoir qui il doit assigner et quoi faire de l’acte quand il l’aura délivré (à qui le retourner, etc…)


Il est aussi opportun de lui envoyer l’image des pièces qu’il pourra ainsi joindre à son acte, cette pratique devient courante et réduit les incidents de communication des pièces.


C – 3   la saisine effective du Tribunal


Une fois l’acte délivré, il faut que le Tribunal le reçoive.


L’action qui consiste à remettre l’acte au Tribunal (à son greffe) porte le nom de « placement », la chose se fait généralement par voie électronique et avec un préavis variable selon les tribunaux (un calendrier est donc à suivre, ce qui impose une réflexion dès la prise de date, pour vérifier la compatibilité entre le processus : envoi à l’huissier / retour de l’huissier / placement et le délai imposé par le Tribunal.


Après le placement, le Tribunal est saisi, s’engage alors la procédure proprement dite, qui n’est plus notre sujet.


EN RESUME


Une assignation efficace est celle :


-      qui part des pièces,
-       qui les décrit juridiquement de façon compétente (bonne qualification juridique),
-       qui met en évidence un chemin intellectuel logique aboutissant aux demandes,
-       qui a traversé les questions de prescription pour vérifier qu’il n’est pas « trop tard »,
-       qui a traversé les questions des saisines préalables obligatoires,
-       qui convoque devant le bon tribunal (celui de la matière à juger et du lieu du litige)
-       qui désigne précisément le ou les cibles (les « défendeurs »)
-       qui est remise au Tribunal en observant les règles prescrites par ce dernier (placement et autres)


Une fois la matière identifiée, il faut donc, dans les textes qui la concernent aborder la forme de façon aussi soigneuse que le fond.


Les assignations négligeant même une partie de ces sujets s’exposent à des périls assez variables :


-       rejet au fond (mauvais jugement) quand les pièces ont été mal qualifiées ou mal présentées,
-       irrecevabilité (cas de prescription, d’inobservation d’un stade préalable, de saisine d’un Tribunal matériellement ou territorialement incompétent, d’erreur commise sur la personne assignée)
-       absence d’effet (cas de non-placement ou non conforme ou tardif)


Cyrille JOHANET, avocat